Influencers, e-sportifs et conséquences fiscales de leurs activités exercées à l’étranger
La transformation de l’économie et de la société par le numérique, ainsi que la mobilité internationale croissante des personnes physiques, sont des facteurs qui influencent les choix de nombreux entrepreneurs et travailleurs indépendants, parmi lesquels les influencers et les e-sportifs, nouvelles figures professionnelles de l’écosystème numérique, pour lesquelles on peut rencontrer des difficultés d’interprétation dans l’application des règles fiscales lorsque les activités sont exercées dans deux ou plusieurs pays.
Cet article est dédié aux influencers et aux e-sportifs, ainsi qu’à d’autres profils professionnels de l’économie numérique, comme les sextertainers et les edutainers, pour lesquels nous proposons une introduction aux dynamiques de fiscalité internationale concernant leurs activités, à travers les principes généraux de l’imposition des revenus d’entreprise et le rôle des conventions fiscales internationales.
Les règles de base pour l’imposition des revenus d’entreprise
De manière générale, ceux qui travaillent comme influencer, e-sportif, sextertrainer ou edutainer exercent leur activité sous la forme d’une entreprise et non en tant que salarié. Cette distinction est importante en matière fiscale, car les personnes exerçant en tant qu’entrepreneurs individuels sont, en principe, soumises aux règles fiscales applicables aux entreprises.
Le principe de résidence de l’entreprise
En principe, l’imposition des revenus d’entreprise a lieu dans le pays où l’entreprise a son siège social et exerce son activité, que l’on appelle État de résidence fiscale de l’entreprise. Par exemple, pour les revenus générés par l’activité d’un influencer ayant enregistré sa SARL en France et issus de vidéos tournées uniquement en France, il ne fait aucun doute qu’ils seront imposables en France.
Le concept d’“établissement stable” ou de “base fixe”
La situation se complique lorsque l’activité est exercée également dans un État autre que celui de la résidence fiscale de l’entreprise.
Imaginons un influencer espagnol qui vient en France pour promouvoir des marques de mode espagnoles lors de la Fashion Week. Si l’influencer se rend en France pour une courte période (une semaine) et n’établit pas d’organisation permanente, sauf situations particulières, son activité n’est pas suffisamment significative pour justifier une imposition en France. Par conséquent, ses revenus d’entreprise resteraient imposables uniquement en Espagne.
Cependant, la situation change si l’influencer ouvre un bureau en France, utilisé pour gérer des collaborations avec des marques françaises de manière continue : ce bureau pourrait constituer ce que la fiscalité internationale appelle un “établissement stable” ou une “base fixe”, justifiant l’imposition des revenus d’entreprise en France, même si l’entreprise est enregistrée et habituellement gérée depuis l’étranger.
Les concepts d’établissement stable et de base fixe sont définis par deux règles importantes présentes dans la plupart des “conventions bilatérales contre la double imposition” : qu’est-ce que c’est ? Ces conventions sont des accords entre deux États (ou plusieurs États) pour établir des règles communes pour répartir les impôts dus sur les revenus générés par des activités ou des situations transfrontalières.
L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) a formulé un Modèle de Convention bilatérale (la dernière version date de 2017) auquel se sont inspirées la plupart des conventions en vigueur. Par commodité, dans cet article, nous nous référerons aux règles prévues dans le Modèle pour continuer à développer nos raisonnements. Les règles en question sont les suivantes :
- Article 7 : concerne les revenus d’entreprise et établit qu’une entreprise est imposable dans l’État où elle dispose d’un établissement stable pour les activités exercées par celui-ci.
- Article 14 : s’applique aux entrepreneurs individuels et aux professions libérales, prévoyant que le revenu soit imposé dans l’État de résidence de l’entrepreneur, sauf si l’activité est exercée dans un autre État via une base fixe.
Quand une activité constitue-t-elle un “établissement stable” en France ?
Un cas curieux pour vous : le droit fiscal français ne définit pas expressément le concept d’établissement stable (concept toutefois défini par les conventions signées par la France), ni celui d’activité d’entreprise exercée en France.
Comment pouvons-nous alors déterminer si l’activité exercée en France par un influencer, même pour une période limitée, qualifie un établissement stable ou une base fixe et, par conséquent, génère des revenus imposables dans ce pays ?
L’établissement stable en droit interne français est un concept élaboré par la jurisprudence qui fait référence à trois critères susceptibles de caractériser l’exercice d’une activité d’entreprise en France :
- l’existence en France d’une structure de caractère permanent et dotée d’une autonomie propre (usine, succursale, point de vente, etc.) ;
- la présence en France d’employés exerçant une activité commerciale pour le compte de l’entreprise ;
- la réalisation en France d’opérations constituant un cycle commercial complet, indépendant des autres opérations de l’entreprise.
La jurisprudence française enseigne donc qu’un établissement stable se matérialise en France si l’activité s’y exerce avec une certaine stabilité et continuité, souvent à travers un cycle commercial complet. Les conventions fiscales prévoient une définition, ou plutôt une série de définitions, légèrement différentes du concept d’établissement stable en droit interne français, mais l’idée générale reste que l’activité ne doit pas être occasionnelle ou sporadique.
Imposition des paiements effectués depuis la France
Une précision fondamentale : dans l’exemple illustré précédemment, si, pendant la Fashion Week, l’influencer perçoit des sommes de clients exerçant leur activité en France (comme des maisons de couture françaises), ces sommes pourront être imposées en France, indépendamment de l’existence d’un établissement stable ou d’une base fixe.
En effet, il existe plusieurs dispositions du droit français, telles que celles prévues aux articles 182 A, 182 B, 182 B bis et 182 C du Code général des impôts, qui imposent au débiteur de prélever l’impôt sur les sommes à verser à un non-résident fiscal en France pour des prestations réalisées en France.
Article 17 du Modèle OCDE : une règle spéciale pour les artistes et les sportifs
L’article 17 des conventions bilatérales introduit une dérogation importante aux principes des articles 7 et 14, permettant à l’État de la source d’imposer les revenus perçus par les artistes et les sportifs pour les activités exercées sur son territoire. Cette dérogation est justifiée par la grande mobilité internationale de ces professions, souvent associées à des revenus élevés générés sur de courtes périodes.
Selon les Commentaires de l’OCDE, l’article 17 s’applique également aux activités de divertissement non traditionnelles, pourvu qu’elles contiennent un élément de spectacle ou de performance. Pour déterminer si l’article 17 peut être appliqué aux influencers, aux e-sportifs, aux sextertainers ou aux edutainers, il est important d’analyser si leur activité est considérée comme du divertissement.
Application de l’article 17 : quelques cas pratiques
- Influencers : activité publicitaire ou performance artistique ?
Dans de nombreux cas, l’activité de l’influencer se limite à la promotion publicitaire sans éléments de spectacle et ne relèverait donc pas de l’article 17. Cependant, il existe des situations où un influencer pourrait être considéré comme un artiste de scène si ses activités comportent un véritable divertissement.
Par exemple, un influencer résident en Chine qui participe à des événements exclusifs en France, réalisant des vidéos captivantes et amusantes qui divertissent le public, pourrait être considéré comme un artiste. Si les activités publiées sur les réseaux sociaux comprennent des éléments de performance et de divertissement, les revenus en découlant pourraient être imposés en France.
- E-sportifs : athlètes numériques
Les e-sportifs participent à des compétitions internationales et reçoivent des parrainages importants. Bien que l’e-sport ne nécessite pas d’effort physique traditionnel, le Commentaire OCDE reconnaît que les sports mentaux (par exemple, les échecs) peuvent relever de l’article 17. La présence d’un élément de compétition et de divertissement pour le public peut rendre ces revenus imposables dans l’État où se déroulent les événements.
Par exemple, un e-sportif résident au Canada qui participe à un tournoi en France pourrait être soumis à l’imposition en France sur les revenus tirés de sa participation au tournoi.
- Sextertainers : performances pour adultes et fiscalité
Les sextertainers, qui créent des contenus interactifs pour un public en ligne, peuvent être considérés comme des artistes de divertissement. L’arrêt Geelen de la Cour de justice de l’Union européenne (8 mai 2019, C-568/17) a établi que les prestations à contenu érotique constituent des activités de divertissement. Ainsi, si un sextertainer exerce ses activités en France, les revenus en découlant pourraient être imposés en France conformément à l’article 17. Par exemple, un sextertainer américain diffusant des spectacles en direct depuis un lieu en France pourrait être assujetti à l’imposition sur les revenus générés en France.
- Edutainers : éducation et divertissement
Les edutainers, qui offrent des contenus éducatifs avec un élément de divertissement, doivent être évalués en fonction de l’importance du divertissement par rapport à l’éducation. Si le contenu est principalement éducatif, il ne relève pas de l’article 17. Cependant, si l’aspect performatif prédomine, il peut être considéré comme du divertissement et être soumis à l’imposition dans l’État de la source. Par exemple, un edutainer britannique qui réalise des spectacles scientifiques en direct en France pourrait voir ses revenus imposés en France si l’aspect spectaculaire et de divertissement est prédominant.
Conclusions : pourquoi ces informations sont-elles cruciales ?
La mobilité internationale croissante et l’augmentation du nomadisme numérique rendent ces règles fiscales de plus en plus pertinentes. De plus, les autorités fiscales disposent aujourd’hui d’une visibilité accrue sur les flux financiers générés par l’économie numérique grâce à trois facteurs clés :
- Obligations de déclaration pour les plateformes numériques : les plateformes qui effectuent des paiements aux influencers, aux e-sportifs et autres créateurs doivent déclarer ces transactions aux autorités fiscales.
- Échange automatique d’informations : les États partagent régulièrement des informations sur les revenus transfrontaliers pour détecter d’éventuelles évasions fiscales.
- Intelligence artificielle : l’utilisation d’outils avancés permet aux administrations fiscales d’analyser et de recouper les données de plus en plus rapidement.
Pour ceux qui exercent ces professions, il est donc essentiel de connaître les règles fiscales applicables et, si nécessaire, de se faire accompagner par des experts fiscaux. Être conscient de ces obligations permet d’éviter les sanctions et d’assurer une gestion fiscale conforme et sereine. Pour toute information supplémentaire et pour recevoir un soutien personnalisé, n’hésitez pas à contacter TaxLhab, où des experts en fiscalité internationale se feront un plaisir de vous assister.